Par Luce Balthazar, directrice générale du CRE du Bas-Saint- Laurent, responsable du comité Fleuve Saint-Laurent et co- responsable du comité Aires protégées
En 2000, le Québec publiait une première stratégie pour établir un réseau d’aires protégées (AP) représentatif de la biodiversité naturelle devant couvrir une superficie de 8 % du territoire, incluant le Saint-Laurent.
Il adopte 10 ans plus tard de nouvelles orientations en fixant une cible de protection de 12 % du milieu terrestre et de 10 % en zone marine (estuaire et golfe du Saint-Laurent) à atteindre en 2015. Depuis, malgré l’absence d’un nouveau plan, le gouvernement a pris des engagements pour relever ses objectifs à la hauteur des recommandations internationales (Objectif d’Aichi), à savoir de protéger 17 % des terres et des eaux intérieures et de viser une protection de l’ordre de 10 % en milieu marin d’ici 2020. Ce dernier objectif, qui a d’ailleurs été confirmé avec la Stratégie maritime du Québec, doit inévitablement se réaliser de concert avec le pallier fédéral.
LOIN DES CIBLES
Selon les dernières données, les AP à la fin 2018 ne totalisent que 10 % de la superficie du Québec. Plus préoccupant encore, l’espace marin n’est protégé qu’à 3,65 % et de ce pourcentage, à peine 1,3 % est véritablement préservé de façon efficace et durable avec ce que l’on peut définir comme étant une « aire marine protégée » (AMP).
En effet, une AMP est une zone d’intérêt écologique clairement délimitée, suffisamment grande (environ 100 km2) et qui doit être légalement désignée pour maintenir à long terme la biodiversité et proscrire toute activité industrielle lourde. Une AMP coïncide avec les catégories I à III de l’Union internationale pour la conservation de la nature et il n’en existe présentement que deux au Québec : le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent (PMSSL) et la réserve aquatique projetée de Manicouagan.
Ces deux AMP, qui ne couvrent que 1,3 % de la superficie marine, démontrent à quel point le Québec chemine à pas de tortue: il n’y a eu qu’une faible progression de moins de 1 % sur 20 ans compte tenu que le PMSSL existait déjà avant la première stratégie.
Une avancée récente est à saluer : l’annonce de la création de l’AMP du Banc-des-Américains. Il s’agit d’une grande réserve aquatique très riche et particulièrement importante pour les rorquals bleus menacés de disparition. Avec l’ajout de ce nouveau territoire, le Québec améliorera le niveau de protection de sa zone marine par des AMP à 1,9 %. Hélas ! Il y a péril en la demeure : le Québec sera encore très loin de l’objectif convenu pour 2020 et il reste très peu de temps pour y parvenir.
DES CONFLITS AVEC LE TRANSPORT DES HYDROCARBURES
Quelques autres projets sont à l’étude, aux Iles-de-la-Madeleine par exemple, mais le projet d’ampleur qui est réclamé depuis deux décennies est celui d’une AMP de 6000 km2 s’étendant d’une rive à l’autre depuis l’amont jusqu’à l’aval de l’estuaire moyen et maritime. Tel un agrandissement significatif du parc marin, cette zone correspond à l’aire de répartition saisonnière du béluga du Saint-Laurent et elle comprend des éléments de son habitat essentiel. Ce territoire avait déjà été proposé comme potentielle zone de protection marine (ZPM) de l’Estuaire du Saint-Laurent en 2004.
Or, ce secteur est très convoité par des promoteurs industriels souvent liés au transport d’hydrocarbures : port pétrolier et port méthanier à Cacouna ainsi que diverses infrastructures dans la rivière Saguenay. Soulignons notamment les projets Énergie Saguenay et Gazoduq qui conduiront à exporter 11 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié sur des navires citernes qui circuleront en plein cœur du parc marin et de sites de fréquentation intensive du béluga.
Les impacts qui pourront affecter ces cétacés sont l’augmentation du bruit et des collisions, lesquels représentent des risques sérieux pour une espèce menacée qui connaît déjà de grandes difficultés et dont la population ne cesse de diminuer.
L’établissement d’une AMP dans l’estuaire est réclamé d’urgence pour préserver l’équilibre délicat de ces populations et cela doit être réalisé impérativement d’ici l’échéance de 2020 en complément d’un réseau d’AP efficace et représentatif du Saint-Laurent. À défaut d’agir, le Québec ratera sa cible de très loin et plusieurs espèces aquatiques, particulièrement la « baleine blanche » québécoise qui est un symbole reconnu à travers le monde, frôleront le point de non-retour.
Le fleuve est un joyau du territoire québécois et sa dégradation ainsi que celle des espèces qu’il abrite pèsera lourd sur la vie culturelle, touristique, économique, scientifique et même sur la fierté des Québécois-e-s et des communautés riveraines qui n’auraient pas su sauvegarder adéquatement un milieu si riche et exceptionnel.
Il est minuit moins une pour mettre en place un réseau d’AMP et atteindre les objectifs de protection du milieu marin. L’année 2019 doit être marquée par une intensification de la mobilisation et des actions pour exiger le respect des engagements du Québec en matière de conservation. Un premier pas pourrait être de participer à la campagne Protégeons le Saint-Laurent de la Société pour la nature et les parcs.