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Mémoire : Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier

Le 28 mai 2025 – Le RNCREQ a déposé un mémoire à la Commission de l’aménagement du territoire. Selon ses expert·e·s, le projet de loi n°97, axé sur l’exploitation économique des forêts, réduit les consultations publiques et affaiblit les protections environnementales. Le Regroupement émet 21 propositions pour inciter la commission parlementaire à améliorer le texte vers un équilibre entre conservation et exploitation, rétablissant une gestion écosystémique et des espaces de concertation. Elles prônent notamment des consultations inclusives pour la future politique forestière, visant une gouvernance partagée et durable, respectueuse des engagements environnementaux et des réalités régionales.

Contexte

Le 23 avril 2025, la ministre Maïté Vézina-Blanchette a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi n° 97, Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (ci-après «PL»).

Ce PL vient modifier en profondeur le régime forestier québécois, dont la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (LADTF), la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, la Loi sur les terres du domaine de l’État et la Loi sur la Société du Plan Nord.

Le RNCREQ manifeste un engagement soutenu depuis de nombreuses années en matière de gestion des forêts.
Le RNCREQ a notamment présenté des recommandations concernant l’aménagement forestier dans le cadre des consultations suivantes : Loi modifiant la Loi sur les mines et d’autres dispositions (septembre 2024), le Décret d’urgence visant à protéger l’habitat du caribou boréal au Québec (septembre 2024), la gouvernance responsable des ressources énergétiques (septembre 2024), la Consultation sur l’avenir de la forêt au Québec (avril 2024), la Consultation sur le Plan Nature 2030 (novembre 2023), les Orientations gouvernementales en aménagement du territoire (OGAT, septembre 2023), le Guide de développement de la villégiature sur les terres du domaine de l’État (décembre 2022), les Caribous forestiers et montagnards (mai 2022), la Stratégie d’adaptation de la gestion et de l’aménagement des forêts aux changements climatiques (décembre 2021), etc.

De plus, certains de ses représentants ont rencontré le cabinet de la ministre avant la publication du PL. Le RNCREQ saisit ici l’occasion de réitérer ses positions.

Avant d’aborder le contenu du projet de loi, le RNCREQ tient à exprimer certaines préoccupations concernant le processus ayant mené à son élaboration.
Tout d’abord, il convient de souligner que plusieurs acteurs interpellés par la forêt estiment ne pas avoir été suffisamment consultés et que le processus aurait eu avantage à être plus structuré en proposant d’abord une visions et des orientations générales portant à la fois sur les aspects environnementaux, sociaux et économiques de l’avenir de la forêt québécoise par le biais d’un «livre vert» puis de propositions plus spécifique dans le cadre de consultations régionales et sectorielles. Les changements envisagés au régime forestier auront inévitablement des répercussions long terme sur l’aménagement des forêts, la façon de valoriser celle-ci et la pérennité des écosystèmes forestiers. Ce nouveau régime doit donc s’inscrire en complémentarité et en cohérence avec les autres orsientations et plans gouvernementaux.

Nous soulignons qu’il est également difficile de se prononcer complètement sur la portée de certaines orientations du PL en l’absence d’informations sur la Politique remplaçant la Stratégie d’aménagement durable des forêts et sur son cadre réglementaire ou sur une éventuelle Stratégie industrielle de valorisation de la forêt qui devrait l’accompagner.

Le RNCREQ a également d’importantes préoccupations sur certains changements au régime forestier proposés par le PL.

Le nouveau régime introduit un zonage visant à « prioriser les activités d’aménagement forestier », ce qui laisse entendre que l’objectif principal du projet de loi est d’accroître le rendement de la forêt.

Dans cette optique, trois changements importants suscitent des préoccupations de la part du RNCREQ :

  1. Zonage d’aménagement intensif restrictif : dans ces zones, seules les activités d’exploitation seraient autorisées, excluant notamment toute intervention du ministre de l’Environnement, y compris pour la protection d’espèces vulnérables.
  2. Redéfinition de l’aménagement écosystémique : la nouvelle définition écarte l’un de ses éléments fondamentaux, soit la réduction des écarts avec les caractéristiques de la forêt naturelle.
  3. Abolition des instances de concertation : ces instances jouaient un rôle clé dans l’harmonisation des usages du territoire forestier. Leur disparition soulève de vives inquiétudes quant à la capacité de préserver une gestion équilibrée, notamment dans un contexte de changements climatiques.

Sur la base de ces trois éléments de changement, le mémoire présente nos préoccupations et des recommandations visant à préserver la durabilité des forêts du Québec.

Récapitulatif des recommandations sur la modernisation du régime forestier

Recommandation 1
Articuler le nouveau régime forestier avec les plans de protection de la biodiversité en vigueur ;

Recommandation 2
Maintenir le pouvoir d’intervention du ministère de l’Environnement dans les zones d’aménagement forestier prioritaire.

Recommandation 3
Identifier en priorité les zones de conservation avant toute désignation de zones d’aménagement prioritaire ;

Recommandation 4
Définir des cibles quantitatives de conservation pour l’ensemble du territoire forestier.

Recommandation 5
Modifier l’article 17.4, alinéa 2, afin de remplacer « Le gouvernement doit » par « Le gouvernement peut, à sa discrétion… ».

Recommandation 6
Inclure dans le projet de loi des cibles claires quant à la proportion du territoire des unités d’aménagement à consacrer aux différentes zones, de manière à assurer une répartition équilibrée entre les zones d’exploitation, de conservation et d’usage polyvalent.

Recommandation 7
Conserver les critères de forêt naturelle dans la définition de l’aménagement écosystémique et appliquer à l’aménagement forestier les principales balises d’encadrement identifiées par les scientifiques du Centre d’études sur la forêt.

Recommandation 8
Bonifier l’ébauche de Stratégie d’adaptation de la gestion et de l’aménagement des forêts aux changements climatiques avec les commentaires formulés durant la consultation de décembre 2021 ainsi que durant les Tables de réflexion sur l’avenir de la Forêt, et de la soumettre à la consultation.

Recommandation 9
Tenir une consultation publique sur la Politique d’aménagement forestier et le cadre réglementaire associé dans les plus brefs délais.

Recommandation 10
S’assurer que la Politique contienne des cibles précises, notamment en ce qui concerne les seuils écologiques et les cibles de conservation.

Recommandation 11
Conserver et renforcer les tables GIRT en élargissant la représentativité des acteurs qui y siègent.

Recommandation 12
Que le PL 97 rétablisse une instance de gouvernance territoriale régionale permettant la concertation des acteurs du territoire sur les enjeux de planification stratégique, à l’image des ex Commissions régionales sur les ressources naturelles et le territoire (CRRNT).

Recommandation 13
Amender les articles 116.7 et 116.13, qui déterminent les acteurs à consulter dans le cadre de la planification forestière, pour inclure le rôle de cette instance dans la planification et la programmation des activités.

Recommandation 14
Prévoir dans le PL des consultations publiques à toutes les étapes de la programmation et de la planification, y compris dans les ZAFP.

Recommandation 15
De maintenir les responsabilités en matière de planification forestière au sein des directions régionales du MRNF, en particulier pour la programmation des activités dans les zones multiusages et les ZAFP.

Recommandation 16
Veiller à ce que la fonction d’aménagiste forestier régional soit rattachée aux directions régionales du MRNF, dans une perspective de régionalisation de la planification forestière et de renforcement des liens entre les autorités publiques et les réalités locales.

Recommandation 17
Réunir l’ensemble des acteurs concernés par la forêt privée (syndicats, agences, regroupements de propriétaires, industrie) afin de structurer un effort coordonné d’accroissement de la production ligneuse issue de la forêt privée.

Recommandation 18
Harmoniser le PL avec les OGAT de manière à s’assurer que la gestion de la forêt privée atteigne les objectifs en matière de connectivité.

Recommandation 19
Renforcer le cadre réglementaire applicable à l’aménagement en forêt privée (ex. : bandes riveraines, dimension des coupes, protection des habitats) afin de mieux aligner les exigences écologiques sur celles en vigueur en forêt publique.

Recommandation 20
Remplacer, dans le projet de loi, la notion de maintien des possibilités forestières par une notion englobant le respect des possibilités forestières tout en permettant une plus grande flexibilité dans les stratégies d’aménagement et une meilleure prise en compte des autres usages du territoire.

Recommandation 21
Retirer du projet de loi toute disposition permettant le dépassement des possibilités forestières par règlement, hors du cadre déjà prévu pour les programmations spéciales, afin de préserver l’intégrité du régime de calcul et la prévisibilité à long terme de l’aménagement forestier.

Conclusion

Le projet de loi n° 97 repose sur une vision de la forêt largement centrée sur sa valeur économique, en accordant une place prépondérante à l’industrie forestière dans la planification et la gouvernance, au détriment d’une approche réellement intégrée et durable. Il réduit les espaces de concertation, limite les mécanismes de consultation publique et affaiblit les garde-fous environnementaux qui faisaient la force du régime forestier mis en place en 2013.

Le RNCREQ salue le travail de la commission parlementaire et demeure optimiste quant à sa capacité à bonifier significativement le projet de loi afin qu’il réponde mieux aux attentes de la société québécoise en matière de durabilité, de transparence et de respect des engagements environnementaux. Nous formulons l’espoir que les travaux de la commission permettront de répondre aux préoccupations centrales exprimées par le RNCREQ, notamment en assurant un meilleur équilibre entre conservation et exploitation, en rétablissant une définition de l’aménagement écosystémique incluant la réduction des écarts avec la forêt naturelle, et en maintenant des espaces de concertation essentiels à une gestion partagée, équitable et adaptée aux réalités régionales du territoire forestier.

Enfin, le RNCREQ souhaite que les prochaines étapes d’élaboration de la nouvelle Politique d’aménagement forestier, de son cadre réglementaire et de la Stratégie d’adaptation aux changements climatiques fassent l’objet de consultations structurées, ouvertes et inclusives. Il réitère sa volonté d’y contribuer activement afin que l’avenir des forêts québécoises repose sur des fondements écologiques solides, une gouvernance partagée et une vision véritablement durable.

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